Le prix lycéen du livre d'histoire

Créé en 2020 à l’initiative d’un groupe de professeurs d’histoire de lycée, de classes préparatoires aux grandes écoles et d’université, le Prix lycéen du livre d’histoire entame cette année sa 5e édition.

Ce prix a pour objectif de récompenser un livre d’histoire pour ses qualités scientifiques, pour sa lisibilité et son accessibilité (notamment par un nombre de pages raisonnable, autour de 300). Il a pour but de faire découvrir la recherche historique aux jeunes lecteurs que sont les lycéens, contribuant ainsi à la formation humaine, intellectuelle et civique des élèves. En plus d’avoir pour finalité d’éveiller et de renforcer le plaisir de lire des livres d’histoire chez les lycéens, ce prix a pour vocation de contribuer au développement de compétences d’analyse et d’oral, notamment par le dialogue entre lycéens du secondaire et étudiants de CPGE à travers des délibérations régionales et une délibération nationale.

La recherche récente tend à réévaluer le rôle des femmes au sein des cités grecques antiques et à mettre en lumière les diverses facettes de leur intégration à la communauté. Bien qu’elles soient légalement soumises à l’autorité masculine et privées de droits politiques, elles apparaissent néanmoins comme des actrices à part entière dans de nombreux domaines de la vie privée et publique. En dressant le portrait de 18 figures féminines dont les sources éclairent des pans d’existence, de la naissance à l’âge adulte, entre l’époque archaïque et l’époque hellénistique, Aurélie Damet aborde des sujets aussi variés que la préférence donnée aux garçons à la naissance, le mariage précoce des filles, la prostitution, les activités économiques des femmes, leur rôle de mère et d’épouse, leurs droits face à la justice, leur présence dans l’exercice de la médecine, de la poésie ou du sport. Elle redonne ainsi vie à ces destins de femmes et au monde qui les a façonnés.

Ahutoru fut le premier Polynésien à se porter au-devant des vaisseaux français de l’expédition de Bougainville à Tahiti en avril 1768. Autant celle-ci est bien connue, comme celle des autres « découvreurs européens » du Pacifique et de tous les circumnavigateurs. Autant, l’histoire de ce premier découvreur tahitien de l’Europe restait méconnue. Car, Ahutoru embarqua sur la Boudeuse pour le voyage retour qui le mena du sud Pacifique à Saint-Malo et jusqu’à Paris en 1769. Puis, il repartit de La Rochelle en 1770 sans pouvoir cependant revoir Tahiti, victime de la variole à Madagascar en 1771.

Dans une entreprise d’écriture de l’histoire qui emprunte la voie, chère à Romain Bertrand, de « l’histoire à parts égales » (Seuil, 2011), Véronique Dorbe-Larcade réussit le tour de force de donner à lire ce voyage aller et retour d’Ahutoru malgré les limites d’une « histoire en lambeaux » faite à partir des récits de ceux qui le croisèrent. Elle narre les épisodes de son parcours maritime et terrestre, ses escales non moins étonnantes que son adaptation à la vie parisienne, où il aima le théâtre et l’opéra. Chemin faisant, et c’est passionnant, elle tente de restituer « ce qu’a pu penser et ressentir cet aventurier polynésien dans cette France des Lumières ».

Arnaud Exbalin réalise un livre original et riche, en nous emmenant du Mexique colonial de la fin du 18e siècle à Sotchi en 2014, en passant par Lille, Madrid, Paris, Istanbul, New York et Athènes, livre qui est à la fois une histoire des animaux et du rapport aux animaux, de leur place dans la ville et dans les sociétés humaines, mais aussi une histoire de la violence et du pouvoir politique sur la ville. Partant des représentations des chiens dans l'Amérique précoloniale (jusqu'à l'image du chien natif mis en avant par le nationalisme mexicain), il étudie et compare d'abord deux canicides et leurs contextes différents fin 18eme afin de comprendre la naissance d'un discours anti chien au siècle des Lumières, mais aussi les résistances à ces violences, dans un processus de domestication et de contrôle des animaux lié aux normes de la ville moderne jusqu'au 21e siècle. On y croise Frida Kahlo et Diego de Rivera, les Jeunes Turcs, Erdogan... C'est un livre sur les mutations des sensibilités, mais aussi plus tragiquement sur des méthodes génocidaires d'abord testées sur des chiens avant d'être appliquées sur des humains.

Le Désinformateur est une enquête originale sur un Algérien de la fin du dix-neuvième siècle, Messaoud Djebari, qu’Arthur Asseraf, jeune professeur d’histoire à l’université de Cambridge, traque à travers les archives, la presse numérisée, internet. L’homme est à la fois un Algérien ordinaire, petit chef de gare dont la personne et la famille laissent peu de traces dans les archives, et un personnage extraordinaire, soldat, explorateur, affabulateur dont les récits captivent les officiers et la presse françaisse. Micro-historique, l’enquête éclaire les transformations de la société arabe colonisée, la paupérisation de ses paysans, l’ébranlement de ses élites, le fonctionnement de l’armée, des tribunaux, des écoles, l’émergence de nouvelles cultures politiques. Elle dévoile magistralement l’incertitude, l’ignorance au cœur de la situation coloniale, les stratégies de l’administration française pour comprendre des sociétés d’autant plus mystérieuses et dangereuses qu’elle ne se donne pas les moyens de connaître leurs membres. Le livre réinsère ces deux dimensions dans une histoire globale de la fin du dix-neuvième siècle, marqué par l’émergence du système moderne de l’information et des médias. En même temps, l’auteur propose une réflexion sur l’enquête historienne même, sur la position de l’historien par rapport à ces systèmes de production de la connaissance, coloniaux, médiatiques, dont il dépend. Comment un historien sait-il ce qu’il sait ? Comment trouve-t-il des informations, comment juge-t-il de leur véracité ? Asseraf interroge les notions mêmes de vérité, d’information et de connaissance, en une réflexion très contemporaine et nécessaire.

« Nom, prénom, date et lieu de naissance, nationalité, domicile, profession : voilà, dans toute leur sécheresse, l’essentiel des données que renferment les « certificats administratifs » délivrés à des « réfugiés apatrides », le statut international conçu en 1922 par la Société des Nations et appliqué aux Russes ayant fui la révolution bolchevique et aux Arméniens rescapés du génocide de 1915. Persécutés et exterminés par le pouvoir ottoman, privés de leur nationalité par le pouvoir kémaliste après 1923, les Arméniens survivants arrivés en France font face à un absolu dénuement. Or, rien (déplacements à effectuer, frontières à traverser, mariages à contracter, naissances à déclarer…) n’est possible sans décliner son identité. Que de tracas, puisque les portes du consulat turc leurs sont fermés… Nouvelle instance accréditée par la SDN et le ministère des Affaires étrangères, l’Office des réfugiés arméniens est chargé de représenter leurs intérêts, à commencer par la production de ces ersatz d’état-civil. Quinze boîtes d’archives aujourd’hui conservées au sous-sol de l’Ofpra (Office francais de protection des réfugiés et apatrides), à Fontenay-sous-Bois, environ 12000 documents, la plupart émis entre 1929 et 1941 au bureau de Marseille, témoignent de ces trajectoires d’Arméniens réfugiés en France au lendemain de la Première Guerre mondiale. Sources fragiles, ténues, lacunaires : elles permettent néanmoins à Anouche Kunth, dans une enquête d’une rare délicatesse, à retracer, à travers tous les « blancs » dus aux disparitions et aux bifurcations multiples, cette traversée du génocide en autant de trajets de vie « au bord de l’effacement ».